Hindi Zahra Out of Mind inside the Spirit World – L’obsession pour le rythme et l'art de l'abandon
Traduction: Frédéric Sicamois
Parmi ses muses inspiratrices : Lhasa, Ella Fitzgerald, Aretha Franklin, Ali Farka Touré, Oumou Sangaré, Maria Callas, Nina Simone. Parmi les lieux et les rythmes inspirateurs, outre ceux de ses racines berbères marocaines, bien sûr (et nous pensons aux déserts infinis de l’Atlas et aux profondeurs de l’Océan) : l’Amérique Latine, le Brésil, l’Inde, des Gitans du Sud de l’Espagne, de l’Andalousie. Mère chanteuse, père soldat, arrière-grand-père danseur qui pratiquait la transe, une invitation à « penser à des gitans qui vivent dans une maison »… Elle, c’est l’une des premières artistes femmes à chanter en langue berbère – une langue vieille de 6000 ans, celle de la culture amazighe, la culture des « hommes libres » – une des premières à l’emporter faire le tour du monde, non sans une certaine fierté. Non sans un syncrétisme que, jusqu’à présent, n’avait jamais osé aucun homme, sans doute. Ni jamais aucune femme. La hardiesse est femme. Qu’attendre d’autre, d’ailleurs, d’une créature chez qui le nomadisme est gravé au plus profond de l’âme, héritière d’un legs tribal touareg et en même temps disciple passionnée du raffinement bohème de Paris, sa ville d’adoption ?
Son nouvel album s’intitule « Homeland », un rappel aux Origines qui va bien au-delà du sens purement territorial de ce terme. Et surtout, il arrive plus de cinq années après le premier (« Handmade »). C’est un délai généralement dangereusement long pour un artiste, qu’il soit émergent ou au sommet de sa gloire. Mais déjà « Handmade », elle l’avait fait toute seule, en parfaite outsider qu’elle est, en suivant patiemment sa propre allure, en ayant le courage d’être à l’écoute de son propre rythme, en se nourrissant de solitude et de nature et de tout le temps nécessaire, sans hâte, parce qu’être attentif au fait que « chaque chose a son rythme » est aussi un art. Et cet art, les chamanes, qu’ils soient femmes ou hommes, reliés aux cycles naturels, ne le connaissent que trop.
« Handmade », fait à la main, fait-maison, artisanal comme un foyer qu’elle nourrit autour du feu de l’attente. Et cela sonne comme une déclaration d’indépendance, résonne comme un tambour dans le silence d’un ciel étoilé où il n’y a rien d’autre à faire qu’à danser. Parce que la danse appartient à Hindi comme au feu la chaleur, qui pourra jamais les séparer ? Elle tient à le souligner : toute la musique est transe, est danse, des éléments indispensables si l’on fait de la musique « non pas pour jouer, mais pour transmettre quelque chose ». « On fait de la musique mais on ne joue pas avec la musique » – et quand elle le dit, elle devient très sérieuse, sur son visage passe l’emphase avec laquelle on transmet un avertissement venu tout droit du monde de l’invisible, d’où toute chose prend forme et où l’inspiration se fait mission. Et, pour suivre un appel qui résonne dans ton ventre, peu importe que passent un jour, deux mois ou cinq ans. Ce qui devient crucial c’est de se laisser le temps de « mourir » et de pouvoir ainsi se re-créer en partant d’une source nouvelle d’énergie créative. L’originalité est une audace qui a bien peu à voir avec l’exhibitionnisme et Hindi Zahra l’incarne littéralement à la perfection. Là encore, origine, racines, terre, aïeux, ancêtres... Homeland.
« Après deux ans et demi de tournée, où j’ai rencontré énormément de personnes à qui je devais aussi réussir à donner mon énergie à chaque fois, je suis arrivée au point où il m’a fallu régénérer cette énergie. Selon moi, et c’est très important, les gens courent après l’inspiration. Je suis convaincue qu’il vaut mieux créer les conditions afin que l’inspiration arrive, préparer un lieu afin que l’inspiration accepte de venir facilement, sans la chercher à tout prix. Et la nature apporte le silence, apporte la paix et apporte aussi l’inspiration. Donc, voulant faire un nouvel album, j’avais besoin d’une nouvelle moi-même. Cela m’a pris deux ans, à Marrakech, un endroit où personne ne me connaissait. J’ai dû revenir à ce travail de recherche sur moi-même, sur mes origines, sur ce que je veux donner aux gens. Parce qu’il ne faut pas jouer avec la musique ».
Hindi Zahra est un grand maître de sagesse ancestrale et elle a la grâce de ne pas le donner à voir. Ce qui la grandit encore davantage. Elle sait, et son âme, comme sa voix, je l’ai écrit ailleurs, « fait communiquer les mondes ». C’est un privilège d’écouter sa musique, un don incroyable que d’assister à ses concerts qui sont de véritables rituels, des cérémonies où l’échange entre qui écoute et qui chante devient palpable comme un manche de couteau entre les mains du vent. Il n’est pas de moment plus important que celui du « live » pour Hindi. La participation totale du public est aussi une manière de se familiariser avec la gaieté du jeu propre à toute âme sauvage. Et elle sait parfaitement comment y parvenir car « plus tu t’amuses sur scène, plus s’amuse qui te regarde et qui t’écoute ». L’explosion de joie est toujours un chemin de traverse qui mène au divin, quel que soit le visage qu’on veuille lui donner ou non, et de quelque manière qu’on veuille l’entendre. Dans cet échange, dans cette sorte de contagion émotive et empathique, Hindi entrevoit l’aspect le plus spirituel de ses concerts et du contact avec le public.
La gestuelle d’Hindi Zahra est la partition la plus extraordinaire de cette artiste qui vit dans son art avec tellement d’intégrité et de fidélité à elle-même qu’elle se transcende. La musique d’Hindi est de la World Music comme on dit dans les maisons de disques mais c’est au sens le plus total du terme, c’est une Musique Universelle, ensemencée par l’esprit libre qui ouvre le champ du possible à une narration du vrai. Hindi est une conteuse, gitane aux frontières relâchées comme ses longs cheveux qui lui glissent sur les épaules, elle sait comment t’emporter à cheval entre les mondes (visible et invisible), elle sait que la Création est toujours un accouchement à soi-même : out of mind. N’est-ce pas l’objectif de la transe ?
Ce n’est certes pas par affectation folklorique que son corps à un moment donné ne peut pas s’empêcher de se décomposer dans les danses de sa Moroccan Trance. C’est quelque chose de vital, pas un accessoire de performance qui serait une fin en soi. « J’ai l’obsession du rythme », admet-elle. Et comment pourrait-il en être autrement !
Merveilleuse femme ayant le tumulte des cieux qui gravite en ton sein ! Tu es rythme, tu vibres avec l’univers et tu incarnes sans fioritures la passion qui t’anime. Tu me fais venir à l’esprit la phrase superbe du livre Les Vagues de Virginia Woolf « Je suis tour à tour espiègle, gaie, languissante, mélancolique. J’ondoie, au-dessus de mes profondes racines ».
I feel a thousand capacities spring up in me. I am arch, gay, languid, melancholy by turns. I am rooted, but I flow (Virginia Woolf)
J’ondoie au-dessus de mes propres racines. Dans l’immensité de la mer de l’existence, cette onde se fait raz de marée et porte un nom, des plus séduisants : Hindi Zahra.